Survies by Pierre Ouellet

Auteur:Pierre Ouellet [Pierre Ouellet]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Pierre Ouellet;Survies;Roman;ISBN 978-2-89502-461-3;ISBN EPUB 978-2-89502-557-3;© Les éditions de L’instant même;2022
Éditeur: L'instant même
Publié: 2022-05-19T23:57:51+00:00

IV

Un mot, pour sortir du néant de la nuit. Au milieu d’un blanc, d’une amnésie, d’une absence, un mot suffit pour reprendre, puisqu’on parle en enchaînant les mots, non pas mécaniquement mais musicalement, de même qu’un simple accord suffit à dérouler dans la tête la partition oubliée.

Jean Clair, Terre natale

Écrire ? Parler la langue de personne, dans laquelle tout le monde rêve sans s’en rendre compte. Acter, agir, actionner, comme dit Blandine B. ? Faire les gestes que personne ne fait, sinon dans ses cauchemars les plus secrets. Enquêter, inspecter, détecter, comme fait Chester ? Chercher la vérité sous les mensonges, les faussetés, les fictions où elle se trouve, en dessous des faits, au-dessus des lois, parmi les riens, la cendre et la poussière, bien plus que dans les traces de sang ou d’ADN : au milieu des choses les plus insignifiantes, les plus insensées, où elle s’enfouit ou bien s’envole dès qu’on essaie de l’attraper.

C’est ce qui nous réunissait, Head, Blandine et moi, jusque dans les pires tempêtes qu’on a pu traverser, qui nous ont disjoints et démembrés, pour qu’on retrouve au bout d’un temps tous nos morceaux… comme ils étaient avant qu’on nous ait brisés, coupés en deux, en trois, en cent. Notre trio n’aura jamais cessé de chanter en chœur même quand chacun a dû mener une carrière solo… non tant pour se retrouver seul, mais pour se mettre à la recherche des autres dans ses souvenirs les plus enfouis, dans les regrets et les remords où l’on enterre sa vie passée pour mieux découvrir plus tard, en grattant un peu, fouillant toujours plus creux, des trésors inestimables, la corne d’abondance d’une existence qui repose toute, sous les couches les plus secrètes de la conscience, dans la crypte sacrée où l’on refoule, ravale, réprime ce qu’on a jadis profané, outragé, auquel on tenait plus qu’à sa propre vie… et à quoi on se raccroche désormais, s’attache de tout son cœur pour les années qu’il nous reste à traverser, dont il devient la raison d’être, l’unique motif, le vrai mobile, sans quoi rien n’a plus de sens en ce bas monde.

Écrire, « acter », enquêter, c’était une forme d’archéologie privée, qu’on pratiquait en solitaire, qui dans ses fables, qui dans ses actes, qui dans sa quête, pour se retrouver un jour dans le même sous-sol, le même sous-temps, la même sous-vie, qu’on déterrerait au pic et à la pelle chacun de son côté, forant son propre tunnel, creusant ses propres galeries, qui nous mèneraient vers la caverne centrale où tout avait commencé… où tout finirait par la même découverte, la même révélation, soit que l’unique butin auquel on a droit au terme de sa vie serait ce vide, ce creux, cette immense cavité, pour ne pas dire ce « trou noir » qui a les proportions de l’infini, qu’on partage pour dernière demeure… où l’on cohabite en pensée comme autant de jumeaux et de jumelles, de siamois et de siamoises dans le même giron, la même matrice.

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